« Quand on arrive dans une ville, on voit des rues en perspective. Des suites de bâtiments vides de sens. Tout est inconnu, vierge »…
Que d’eau sous les ponts depuis cette introduction phénoménale de Klapisch dans son film central, l’Auberge Espagnole, sorti en 2001. Ces quelques phrases résument simplement une situation immuable : l’imaginaire collectif qu’a représenté la Ville pour l’humanité à travers les âges, de l’écrasante ruralité jusqu’à l’urbanisation outrancière. Depuis l’antiquité, la ville et sa découverte font l’objet de nombreux fantasmes pour l’individu moyen. Qu’on lui attribue mille vertus ou mille maux, sa visite – trop rare et attendue pour être profitable – ne demeurait qu’une occasion très codifiée pour confronter la richesse commerçante urbaine à la misère du monde paysan agraire.
Plus jamais le monde ne verra de mouvement de population aussi massif et aussi rapide que celui qui s’est déroulé ces 50 dernières années. Le phénomène d’urbanisation massif de l’humanité a considérablement bouleversé cette situation en mixant dans l’espace urbain les classes sociales extrêmement différentes d’un même pays. S’ajoute à cela, la mondialisation, les villes « globales » – qui regroupent parfois autant d’autochtones que d’étrangers – ont commencé à apparaître, faisant des villes l’espace primordial et essentiel de la vie de l’homme moderne. Ce phénomène contre-nature – l’homme étant du point de vue de l’évolution un être agraire – a eu comme corollaire une réinvention complète de notre perception à l’espace, étape indispensable à la prise de possession par les masses d’un système de vie auparavant réservé à une élite.
Les noms de rue, le percement d’avenue puis la construction de grands systèmes routiers périphériques, les aéroports limitrophes, les gares intérieures et les réseaux de transports en commun sont des évolutions qui ont profondément modifié le comportement quotidien de milliards d’individus. L’invention de la ville moderne a précédé l’arrivée de l’homme moderne, un homme qu’elle a contribué à créer en forçant et en facilitant la mise en connexion des classes populaires et des classes riches. Reliant les périphéries au centre, excentrant les quartiers d’affaires, obligeant les masses laborieuses à accomplir chaque jour des automatismes profondément urbains sans un cadre hyper-connecté, hyper-rapide et hyper-codifié.
L’apparition et le développement à une vitesse exponentielle des logiciels de cartographie par internet, au premier rang desquels Google Maps, est l’évolution logique de cette révolution de l’imaginaire (et probablement son aboutissement). Sur la dernière décennie, la relation des humains à la ville moderne a en effet été complètement réinventée. Dès 2006, Gnarls Barkley y allait déjà d’un brutal: « There are still places I’ve never been because I know what’s in there », et de fait, la possibilité est maintenant donnée à quiconque, à tout instant, et quelle que soit sa position de se géolocaliser par GPS et de calculer de façon quasiment instantanée ses options pour atteindre le point qu’il souhaite rejoindre, et ce par la simple interaction entre son smartphone et les milliers de satellites en orbite géostationnaire.
Bref, quand on arrive en ville, on ne voit plus les rues en perspectives mais bien les lignes jaunes et oranges que dessinent les labels du logiciel californien dont les fameuses Google Cars s’attachent désormais à numériser les allées des grandes villes africaines, derniers obstacles au stockage virtuel exhaustif des centres urbains mondiaux.
La possibilité d’accéder à ce service de n’importe où laisse au voyageur avisé la chance de pouvoir « comprendre » son environnement spatial local (son hôtel, son point de chute, le restaurant le plus proche de ceux-ci, etc.) avant même d’embarquer dans son avion pour sa destination. On « n’arrive » même plus dans une ville, on fait correspondre une image satellite ou « street view » avec les rues en perspectives, à travers la fenêtre fumée du taxi.
Cette évolution, qui a bouleversé une dynamique naturelle, a un impact radical sur la vie d’un nombre incalculable d’individus dont la vie quotidienne est désormais dépendante d’une information géographique parfaite, en temps réel, leur permettant de planifier leur déplacement de la journée et de la soirée en annulant littéralement le risque de se perdre ou, outrage, de devoir demander des informations à un quidam dans la rue. L’hystérie collective qui a suivi la mise sur le marché d’un iPhone avec une application de cartographie incomplète, sous-optimale et souvent erronée a bien montré la dépendance nouvelle construite entre l’humain et la carte virtuelle ultra-précise.
Il y a bien aujourd’hui un réflexe cartographique nouveau chez l’humain moderne, qui n’admet plus de devoir simplement se référer à un office du tourisme pour obtenir un renseignement ou de devoir conserver une carte papier avec lui en permanence pour s’assurer de rester dans les clous. L’apparition parallèle d’applications sociales type Foursquare visant à associer une note à un emplacement donné a nourri le développement de ces nouveaux médias entre l’humain et la ville.
Mais la carte reste un média bien imparfait malgré sa nouvelle ubiquité. Melville écrivait bien « [Rokovoko] is not down in any map ; true places never are », rappelant avec poésie que l’on trouve bien plus d’épanouissement à s’égarer, qu’à se laisser guider.
Texte : Quentin Gollier
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