On dit que les Parisiens sont les seuls à ne jamais monter sur la Tour Eiffel, il est certain qu’une très large majorité des Hiérosolymitains n’ont eux-mêmes jamais foutu les pieds dans la vieille ville de Jérusalem. Cet ensemble labyrinthique de quelques kilomètres carrés, peuplé de vendeurs de croix en plastique et de suaires made in China est d’ailleurs est assez peu impressionnant. Le Saint-Sépulcre est une véritable horreur, les quelques synagogues sont à peu près aussi (peu) remarquables que toutes les autres dans le pays, le mur des Lamentations est bien ce qu’il est (un gros mur) et le Dôme du Rocher avec sa mosquée Al-Aqsa reste l’affaire d’une demi-heure de visite. Mais à l’image de cette ville désespérément peu esthétique, la valeur des lieux ne se mesure pas à leur beauté architecturale mais aux générations et générations de croyants qui leurs ont conféré par leurs gestes et leurs traditions une valeur éternelle qu’aucune autre cité sur cette planète n’arrivera jamais à atteindre.
Ô Jérusalem
Ceux qui ont lu S. Huntington pendant leur jeunesse ont probablement été laissés comme moi avec cette vision dérangeante – mais admettons-le réconfortante – d’une planète divisée de façon anarchique entre grands groupes de civilisations dont les interactions aux « frontières » laissaient place à des zones de conflit en violence permanente. Très Maurice G. Dantesc-esque. Sans reprendre tout le bestiaire émotionnel de l’auteur, il est certain que d’arriver à Jérusalem en venant de l’autoroute et de contempler soudain au détour du dernier virage cette ville blanche et ramassée sur des collines aux vallées profondes et inhabitées fait un effet très messianique. Il plonge certains dans une folie prophétique parfois assez terrifiante, le fameux syndrome de Jérusalem (le film éponyme est d’ailleurs à voir absolument).
Tous les matins, la première pierre
En sortant de la vieille ville par la Porte des Immondices au Sud, on arrive en 10 minutes à la vallée de la Géhenne, l’entrée biblique de l’Enfer. Pendant cette courte marche, on surplombe un enfer bien plus terrestre. Le quartier arabe de Silwan est miné par des enclaves de colons. Ceux-ci s’installent avec l’autorisation du gouvernement sur les lieux de l’antique cité de David pour des raisons archéologiques. Les conflits y sont permanents entre les populations : des barrages routiers aux altercations parfois meurtrières entre miliciens juifs avec M-16 d’un côté et jeunes palestiniens armés de pierres de l’autre, la rage jusqu’aux yeux.
Silwan n’est pas le seul quartier où la frontière entre la judaïté et l’Islam explose. A Sheikh Jarrah, au Nord de la vieille ville, des colons se sont également installés autour de la tombe d’un important Rabin médiéval, créant des conflits permanents et des interventions policières incessantes. Ces lieux très restreints géographiquement sont l’expression de la tension générale d’une ville métissée. Un tiers d’arabes, un tiers de juifs orthodoxes et un tiers d’occidentaux laïques, chacun de ces groupes a ses propres intérêts, sa propre volonté de domination et ses propres candidats à la mairie. (Malgré le boycott presque semi-séculaire des élections par les arabes qui, si ils proposaient un candidat unique l’emporteraient haut la main étant donné la division du vote non-arabe).
Ce melting-pot hyper-dysfonctionnel s’exprime à pleine puissance le jeudi soir quand une énorme partie du tiers laïque de la population s’arrache les places dans les Sherut (les taxis minibus) vers Tel-Aviv, fuyant un vendredi et un samedi marqués par un arrêt total de l’activité des arabes et des orthodoxes.
Cette division des populations produit une extrême ségrégation spatiale. Des ambulances qui rechignent à se rendre dans les quartiers arabes très pauvres, aux attentats des zones urbanisées, en passant par les quartiers orthodoxes où la Torah tient lieu de Code Civil local : tous les groupes sociaux (sans oublier les touristes) sont réunis dans un climat pesant. Les manifestations religieuses qui rythment le calendrier sont alors très symptomatiques des cristallisations communautaires. La fête de l’indépendance d’Israël n’est pas célébrée en même temps par les juifs ou par les arabes (Nakba Day), de même pour les vacances sacrées (Hannukah, Kippur, etc). Les orthodoxes voient d’un très mauvais œil les laïques prendre le volant ou ouvrir leurs magasins ces jours.
Dans cette situation branlante, où chaque habitant est défini par son ethnie, sa religiosité et son pays d’origine (ce dernier facteur souvent très discriminant pour les juifs israéliens), Jérusalem demeure une ville éclatée et instable. A chaque colline sa propre population et au-delà de la vallée, à 10 minutes du centre-ville, on est déjà de l’autre côté de la « ligne verte » en « Zone C » sous contrôle israélien total tel que défini par les accords d’Oslo.
Passive Warfare
Mais cette division en groupes sociaux masque la situation frontalière bien plus globale dont hérite la Jérusalem moderne. L’arrivée d’Israël en 1948, dans un des mouvements de population les plus importants du XXème siècle, a conduit l’Occident et ses codes au cœur du monde Arabe, faisant ressurgir une conflictualité qui n’a jamais vraiment cessé. Jérusalem est depuis 1967 une ville arabe et une ville occidentale, où internet s’obtient en ADSL mais où les poubelles doivent souvent être brûlées dans la nature ; où des tours de bureaux permettent de voir des camps de réfugiés vieux d’un demi-siècle ; et où une université ultra-moderne siège sur une colline surplombant un village arabe dont le statut légal n’a pas été fixé depuis 1948 et qui ne bénéficie d’aucun service public.
Si l’affichage des noms de rue en Hébreu, Arabe et Anglais officialise dans tout le pays une volonté d’assumer le vivre-ensemble, le symbole est lourd de sens. L’irrédentisme palestinien et la volonté d’expansion insatiable des colons sont les hypothèses d’une donne vouée au conflit. L’absence de plan urbain, les démolitions de maison arbitraires (souvent au petit matin), l’omniprésence de soldats en uniformes kakis et la fouille obligatoire à l’entrée de tout lieu public conclut cette sensation effrayante d’une ligne de front instable à l’ombre du Mont des Oliviers.
La Fiche Technique
Le moment pour se ramener
Au Printemps. Il fait toujours sec à Jérusalem, mais au Printemps la température reste très supportable. On évite ainsi les tempêtes de sable qui viennent parfois troubler l’automne. Si vous avez de la chance vous aurez de la pluie, toujours accueillie avec une excitation quasi-religieuse par les orthodoxes.
Où sortir en mode crevard
A Tel-Aviv ! Sinon quelques clubs d’électro minimaliste entre Hillel et Ben-Yehuda.
Un lieu de BG
Les petits cafés de la vieille ville en semaine et si possible en basse saison. On évite les bus de Russes excités et on profite d’un calme peu fréquent. Demander absolument un café turque ! Sinon, si on a la chance de pouvoir rentrer sur le campus de l’université, le bâtiment des relations internationales permet d’avoir la meilleure vue de la ville. Ascenseur 5ème étage, directement à droite puis 2 échelles vers le toit.
Made in Jérusalem
Les meilleurs hummus du monde. Essayer absolument Abu Gosh à 15 min de voiture de la ville (attraction mondiale !), Ben-Sirah sur Hillel et Abu Shukri sur la via Dolorosa.
Jérusalem city maker
Le bus. Etant donné qu’il n’y a pas de métro pour des raisons archéologiques assez évidentes et des raisons religieuses plus étranges (liées au rituels funéraires), le bus est le véritable maître incontesté de la ville. Reflet des problèmes de ségrégation sexuelle (places arrières pour les femmes), support d’affichages publicitaires enflammés créant sans cesse la polémique, la route varie selon le calendrier religieux. Le bus à Jérusalem est l’âme de la ville. Pas étonnant qu’il ait autant souffert pendant l’Intifada.
Quentin Gollier