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Anne Nguyen – Breakdance Libéré(e)

Danseuse, chorégraphe, journaliste, poète ou enseignante, Anne Nguyen fait partie de ces héroïnes complètes qui pourraient être l’étendard de la presse féminine. Avec sa compagnie de danse « Par Terre », elle présente son cinquième spectacle PROMENADE OBLIGATOIRE, où elle puise dans son parcours atypique pour défendre une idée du Hip Hop bien loin du Bling Bling façon MTV. Portrait d’une infatigable créatrice, discrète et éprise de liberté, qui n’en finit pas d’abattre des préjugés.

Crédits Philippe Gramard

Sans jamais rechercher à asseoir une quelconque crédibilité dans un milieu essentiellement masculin, Anne Nguyen est animée par d’autres défis bien plus ambitieux. Dépasser les idées reçues sur le Hip Hop. Repenser cette danse qu’elle ne cesse de redéfinir, multipliant les surfaces et les espaces. Après avoir réussi sa transition de la scène ronde à la scène rectangle, du « ring » des battles, aux représentations artistiques « contemporaines », elle trimbale son expérience jusque dans les classes de Sciences-Po.

Physique-Chimie et Capoeira

Dans sa volonté d’« humaniser » ses étudiants, Sciences Po impose des Ateliers Artistiques dans son cursus académique, que ce soit en écriture, théâtre, photographie, cinéma ou danse.  Sur la maquette pédagogique, on peut lire « s’approprier les sensations contemporaines urbaines » au semestre d’automne et « Hip Hop, une culture contemporaine » au semestre de Printemps. Le titre a le don de susciter la curiosité, d’autant que l’enseignant a pour nom « Nguyen ». Il convient dès lors d’écouter le discours de la créatrice de tels cours inédits. Une petite recherche Youtube plus tard, le contraste est saisissant : d’un côté on a la femme réservée, intimidée dans l’émission culturelle les « mots de minuit », de l’autre on a la championne adulée sur le site de breakdance spécialisé Style2ouf.

  
Outre ses performances unanimement reconnues, on dénote déjà une forme de simplicité et d’accessibilité qui n’est pas forcément monnaie courante dans le milieu de la danse. Grace, une de ses élèves de l’atelier artistique à Sciences Po, témoigne « En danse, elle est vraiment très forte, mais elle est aussi très ouverte et patiente. Je prenais un autre cours de Hip Hop avec l’Association Sportive de Sciences Po, et le professeur nous regardait avec défiance et nous raillait comme des étudiants privilégiés, incapables de comprendre leur propre délire  ». Dans ce cours, bercé par les morceaux du classique Funky Good Time de The JB’s, il est surtout question de prendre du recul sur la danse urbaine pour mieux l’analyser, avec la répétition des gestes de base décomposés et de réflexion sur la relation avec l’espace.

Cette exigence méthodique et réfléchie, Anne Nguyen l’a construite avec son parcours pour le moins original. Alors que ses études de Physique Chimie en prépa puis d’Anglais à Montréal précèdent sa professionnalisation en danse, elle est d’abord passée par la case « arts martiaux » comme la Capoeira, avant de se lancer dans le break à 20 ans.

La Technique avant tout

En découle un style rafraîchissant, avec lequel elle ne se place pas dans la revendication de l’authenticité, dernier rempart contre le commercial. Issue d’une famille plutôt aisée, elle réfute cette culture de la « street credibility », préférant davantage se consacrer à l’essence même du Hip Hop, la création et la technique. Elle avoue sans honte avoir été auditionnée par l’émission Incroyable Talent, cette expérience la conduit à une impasse : le format télévisuel très court du « one shot » est difficilement compatible avec son travail de fond.

Invitée début avril à débattre aux côtés des de DJ Dee Nasty ou du rappeur Kohndo à la conférence de Noise à Sciences-Po « Hip Hop en France, 30 ans de sous-culture ? », elle est la seule intervenante à prendre des notes lorsque le sociologue Hugues Bazin analyse en long, en large et en travers le Hip Hop. Les trois quarts de l’auditoire sont largués, mais elle se régale, car c’est exactement son approche du Hip-Hop qui est exposée de manière technique et structurée. Comme à son habitude, elle parle peu et reste en retrait, mais paradoxalement c’est elle qui reçoit le plus de sollicitations et de questions à la fin de la conférence.

Conférence Noise « Hip Hop en France, 30 ans de sous-culture »

Car finalement, c’est dans ses compositions, aussi bien corporelles qu’écrites, qu’elle s’exprime le mieux. Avec son recueil de poèmes Manuel du Guerrier de la Ville, sorte d’abécédaire artistique de la danse break, elle donne des mots à son énergie créatrice. Il s’agit d’ailleurs de son seul support méthodologique dans son cours. « Plus je m’approprie  le patrimoine collectif qui m’imprègne, plus je m’en affranchis. Plus je prends conscience des facteurs qui définissent mes dispositions, plus j’ai de perspectives de construction. Je ne nie pas l’existence du passé, car c’est sur ses bases que je crée. » Deux mots, Bases et Battle résument à la fois sont état d’esprit et l’effort physique qu’elle déploie en permanence à son service.  « Je danse en contre-addiction aux stimulants externes de ma production endocrine (café, films d’actions, jeux vidéos…) qui altèrent mon sens des responsabilités. Afin de prendre pleinement conscience de mon statut de prédateur conquérant, je replonge dans la réalité de ma situation en affrontant des adversaires ».

Recueil de poèmes d’Anne Nguyen – « Manuel du Guerrier de la Ville »

Chorégraphe, pas metteuse en scène

Ce désir de friction avec un environnement oppressant se retrouve évidemment dans les spectacles de sa Compagnie Par Terre, qu’ils soient solo Racine Carrée  ou en duo comme Yonder Woman. Là encore, les titres sont lourds de sens.
Dénués de décors, costumes et autres fioritures de sorte à ne laisser la place qu’à la danse en elle-même, ses spectacles sans scénographie sont finalement à l’image d’Anne Nguyen, simples et techniques. Car elle se définit avant tout comme chorégraphe.

Et c’est finalement dans sa dernière réalisation PROMENADE OBLIGATOIRE que semble se concrétiser tout son travail de réflexion et de redéfinition du Hip Hop. Dans la lignée de George Orwell, elle s’inspire ouvertement du livre Nous autres écrit par Ievgueni Zamiatine en 1920 et décrit un monde totalitaire où la nature humaine est domptée par un monde qui impose standardisation et synchronisation de mouvements stériles. Sur la composition originale Benjamin Magnin, les huit danseurs ont une heure pour passer du statut d’automates à celui d’hommes, et ce, en se libérant de la fréquence régulière imposée par leur environnement et en décidant par eux-mêmes leur périodes de « vivre-ensemble ».

Promenade Obligatoire

Leur progression se fait de profil, à l’image de l’évolution humaine, et cette originalité prouve une nouvelle fois que la chorégraphe maîtrise l’espace. Son espace, qu’elle définit au même titre que la rue, comme un « salon ».
Il n’y pas de limites pour Anne Nguyen, juste des contraintes qui font rayonner davantage sa liberté de créer.


Manouté

fixer

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