En ce début de siècle, Hong Kong est probablement la ville à l’identité la plus schizophrène qui soit. Du coup difficile de cerner cet espace qui pousse l’urbanisation jusqu’à son paroxysme et dont l’extrême violence économique offre des excès de consommation aussi démesurés que les inégalités sociales qu’elle génère. Entre fantasmes et dégoût, illusion multiculturelle et standardisation internationale, sentiments de liberté et de constipation; bienvenue dans ce joyeux petit bordel saveur dimsum qui ne laisse personne indifférent.
Le tube « Call me maybe » accompagne une pub Abercrombie sur les écrans de Causeway Bay, annonce vocale mandarine dans le métro vers la frontière Lok Fu, gémissements moranesques cantonais d’un vendeur de soupe à Kowloon Town… Telle une composition en perpétuel remix, la nature mélodique du son hong kongais se conjugue au gré de son évolution contemporaine. A priori banale, cette remarque illustre pourtant la période de confusion des genres que vit aujourd’hui l’île-péninsule, à l’heure où la tension politique sous-jacente à la transition britannico-chinoise se fait de plus en plus crispante. En constante transformation, Hong Kong est insaisissable, à tel point que son identité se perd. Ce particularisme hong kongais, noyé sous les diverses influences auxquelles il est exposé, a le mérite de nous laisser le choix : on adore ou on déteste.
7 millions d’habitants pour une surface de 1104 Km2, soit 6544 âmes/Km2, la plus grande densité humaine au monde. Alors que d’autres miracles économiques asiatiques de la fin du siècle tels que Séoul ou Taipei se sont développés en largeur aussi rapidement que n’importe comment, force est d’admirer la capacité de Hong Kong à optimiser le moindre mètre cube d’espace, plaçant le plan d’urbanisme davantage comme un outil de survie que l’affirmation d’un style. Autour des quartiers d’affaires occidentalisés comme Central ou Wanchai où se côtoient les commerciaux ultramodernes, s’agencent en Tetris des immeubles aussi moches que les barres HLM des années 70, l’oxygène en moins.
Hong Kong est loin d’être une belle ville, mais Hong Kong s’en moque, car c’est la quintessence de l’urbanité qui se sentira toujours désirée, aimée puis regrettée. A tel point que nombreux sont ses habitants internationaux de passage, pour la plupart demeurant dans la boucle expat’ « LKF-Canergies-HappyValley-IFCrooftop-MrWong-AvenueofStars-BigLangtauBuddha-LKF ». Ceux-là sont particulièrement fiers d’être des représentants à usage unique de « leur » ville, photo de Wall Facebook à l’appui. Un sentiment d’appartenance qui a le don d’exaspérer certains Hong Kongais de naissance qui, pour compenser à cette escroquerie culturelle, ont récemment créé le Secret Tour Hong Kong, autoproclamé fournisseur d’authenticité locale.
Pourtant c’est justement la densité humaine qui fait la force, le charme et ainsi l’attractivité de Hong Kong. D’un angle utilitariste, la mobilité, la fluidité et la proximité sont des ingrédients qui rendent tout accessible. Cette hyper-accessibilité concrétise la plupart des désirs matériels car dans le cadre d’un marché économique compressé et ultra-compétitif ils deviennent abordables.
Ajouter à cela le nombre de nationalités diverses au mètre carré qui défie toute concurrence, l’importante présence des multiples voisins du continent asiatique tendant même à dépasser les autres cosmopolites New York et Londres. En somme, il réside en Hong Kong cette capacité à générer en chacun la sensation d’être un citadin indépendant à part entière dans une ville mondiale à l’édulcorant extrême-oriental.
En tant que « Hub » économique pur produit du capitalisme sans limite et classé numéro 3 « où il fait bon de créer sa boîte » par le très sérieux magazine Doing Business, Hong Kong offre de jolis contrastes. L’extrême opulence fricote au coin de la rue avec la misère profonde. Au pied de l’International Financial Center, l’une des places financières les plus performantes du globe, des femmes de ménages philippines passent leur dimanche à jouer aux cartes car non autorisées à rester au domicile. En partant du fastueux Peninsula Hotel de Tsim Sha Tsui à Mongkok où nombreux sont les immigrés continentaux qui vivent dans une cage à 100 euros par mois, parcourez les quelques centaines de mètres du début de la Nathan Road : un véritable ascenseur social à grande vitesse. Car si la concentration humaine offre des services compétitifs abordables, elle fait surtout exploser des loyers. Plus qu’exorbitants, ils peuvent atteindre 70.000 euros le mètre carré, soit bien loin devant Paris ou Londres.
Mais dans une ville ultralibérale comme Hong Kong, le misérabilisme contemplatif n’a pas vraiment lieu d’être. Pas le temps, pas l’espace, pas l’esprit, ici, il est question de survie. Il n’est donc pas surprenant de voir dans cette société « développée » et moderne des scènes surréalistes dignes des reportages « Miami/LA la Sulfureuse » de Bernard de la Villardière. Un exemple ? à la sortie d’une boîte deux prostituées philippines se tirent les cheveux pour un trader occidental beauf et bourré, lui-même jetant quelques billets à un faux moine bouddhiste faisant la manche avec le sourire.
Dans ce temple de la consommation où le fric semble dégouliner de partout, quelle place à la culture ? Si l’on s’en tient au ratio musée/centre commercial, on aura effectivement plus de chance de voir les familles passer leur dimanche à consommer dans un shopping mall qu’à critiquer le coup de pinceau de Yue Minjun. Ceci étant, bien qu’ultra-dépendant de la mondialisation, Hong Kong est loin d’être ce vide culturel aseptisé que le sont Singapour ou Dubaï. Le cinéma hong kongais demeure une référence dans le monde, et les chefs d’œuvres des Wong Kar Wai ou autres Johnnie To se renouvellent depuis quelques décennies. La cuisine hong kongaise, riche et diverse, est reconnue et appréciée partout (principalement via les chinatowns du monde entier). Il s’avère même que le restaurant Tim Ho Wan, spécialisé dans les dimsum, est le Restaurant Michelin (1 étoile) le moins cher du monde (2-20 Kwong Wa Street à MongKok). Outre le cinéma et la cuisine, la musique et la danse sortent également du lot notamment avec l’opéra Yueju qui a été classé au patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2009 par l’UNESCO.
Une culture se pénètre avec le son de sa langue et se partage avec ses héritiers, cela est d’autant plus vrai à Hong Kong, ville soi-disant globale. Ainsi pour saisir une partie de la culture hong kongaise, ne pas parler cantonais est rédhibitoire. Contrairement à leurs voisins taïwanais (de véritables bisounours), les Hong Kongais ne sont pas vraiment réputés pour leur ouverture. Ces derniers, fiers leur sang chinois, n’hésitent pas à revendiquer leur héritage britannique pour se distinguer de la moyenne continentale. En somme, une mentalité cantonaise pour le moins clanique. Paradoxal quand on réalise à quel point Hong Kong dépend de son ouverture aux investissements directs venant de l’étranger et de la diaspora cantonaise qui constitue la communauté chinoise d’outre-mer la plus importante du monde.
Mais face à ce clash entre l’oriental et l’occidental, le cantonais et le continental, le local et le global, les Hong Kongais sont-ils condamnés à devoir choisir entre le repli communautaire ou le déracinement entraîné par le tourbillon mondialisant ?
Pour certains comme le designer local Douglas Young, la schizophrénie identitaire propre à Hong Kong « where East meets West » peut être transformée en force si elle est assumée et subtilement maîtrisée. C’est d’ailleurs dans cet état d’esprit qu’il créé en 1996 la marque G.O.D. (Goods of Desire), fournisseur de produits habilement conçus « proud to be local » avec notamment la ligne de vêtement « Delay NoMore ». Ce jeu de mots délicieusement bilingue (« Diu lay lo mo » est le juron cantonais le plus commun dans la street) est applicable avec tous les thèmes, même les plus sensibles, comme « Delay NoMore Democracy ». Très populaire auprès des jeunes qui le considèrent comme un véritable repère culturel, G.O.D. est devenu l’un des principaux emblèmes du Hong Kong décomplexé. Pour rappel G.O.D. est un business. Et si c’était ça l’ADN culturel hong kongais inébranlable contre vents et marrées politiques ?
Le moment pour se ramener
Au Printemps. Entre manifestations sportives (Hong Kong Sevens, Dragon’s Boat Festival) et culturelles (HK International Film Festival, French May), mars-juin est la période de rayonnement international de Hong Kong la plus exprimée. Le climat y est aussi le plus optimal, évitant à la fois l’été où l’on nage dans ses vêtements après deux pas dans la rue, et l’hiver humide qui pénètre les vieux immeubles hong kongais inadaptés.
Où sortir en mode crevard
Chungking Mansions. Endroit de crevard pour crevards fait par des crevards, ce lieu devenu mythique depuis le« Chungking Express » réalisé par Wong Kar Wai dans les années 90. Regroupant plus d’une centaine de nationalités, principalement du sous-continent indien, d’Afrique et du Moyen-Orient, c’est l’endroit rêvé pour tout bobohipsteralternatif wannabe qui se respecte. Situé au cœur de Hong Kong à Tim Tsa Tsui, on peut tout y faire, tout y négocier, tout y consommer. Au delà des deux premiers étages « attrape-touriste » on s’aventure dans le labyrinthe 3D que constituent les apparts faisant office de business informels. On peut se faire une coupe afro, s’offrir une djellaba, déguster un excellent tandoori chicken dans le 4 pièces de l’Indien du 7e étage droite, ou même crécher à bas prix dans des conditions extrêmes. Il est conseillé de l’explorer avec des « guides locaux » infiltrés, histoire de limiter les mésaventures.
Un lieu de BG
On the beach. Aussi surprenant que cela puisse paraître, Hong Kong ne se limite au Central Business Districts et regorge de nombreux coins idylliques à moins d’une demi-heure à la ronde. Il vous suffit de prendre le bus (Shek-O), le métro (Sai Kung), ou mieux (pour 35 HKD) les mini-ferrys, direction les îles environnantes (Lamma, Cheung Chau, Lantau…) pour un barbecue sur sable fin, avec option coucher de soleil pour les plages orientées ouest. Moins original mais tout aussi efficace pour conclure, les escalators des Mid-levels, avec ses 800 mètres (record mondial) qui offrent une vingtaine de minutes de tension sexuelle pour une montée en altitude passionnelle.
Made in Hong Kong
Le Mini-Bus. Plus moche que le Vanagon des Hoovers mais bien plus rapide, violent mais pratique, désagréable mais efficace, dangereux mais abordable, il symbolise à lui tout seul le rêve hong kongais.
Hong Kong city maker
Rachel Chan. Ancienne fonctionnaire/diplomate/entrepreneur/designer au caractère bien trempé, elle créé en 2010 au sein du Hong Kong Institute of Contemporary Culture (HKICC) le MaD forum, l’équivalent asiatique des TEDs talks. Au cœur d’une jeunesse hong kongaise prise en tenaille entre la consommation passive de masse et la rigidité d’une éducation confucéenne abrutissante, Rachel promeut la créativité, l’innovation, l’esprit critique et l’empathie dans la cité, avec cette quête permanente de prendre le meilleur des valeurs occidentales et orientales inhérentes à Hong Kong.
Manouté
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