Au-delà des espaces publics, il existe des lieux dédiés à l’art urbain, des espaces de prédilection pour de nombreux artistes anonymes. Entrepôts désaffectés, immeubles abandonnés, de multiples structures ont été reconverties et investies pour accueillir ce que l’on pourrait appeler « l’art déviant », cet art qui n’a pas sa place dans les musées.
A quelques pas de la BNF (Bibliothèque Nationale de France), perdue dans un tissu urbain moderne de verre et d’acier, se dresse une grande bâtisse dont la façade noircie par le temps est recouverte d’innombrables graffitis : Les Frigos. Beaucoup trop curieuse pour que le mystère de ce château demeure, me voilà partie un vendredi soir à la tombée de la nuit, avec mon acolyte Arthur, caméra à l’épaule, pour un curieux reportage.
Mon amour pour la ville, passe avant tout par les secrets que renferme chaque mur, le vécu qui se dessine sur chaque façade : une gravure, un reste d’affiche en passant par la porosité du bâti ou encore un pochoir ; le paysage urbain nous raconte à sa manière des siècles d’Histoire et de nombreuses petites histoires.
En arrivant devant les frigos, aussi nommés 91 quai de la Gare, nous étions bien loin de nous douter de la densité du vécu de ce lieu atypique : à la sortie de la première guerre mondiale, les Halles et plus généralement Paris avaient besoin de se faire approvisionner en produits frais, ainsi commence en 1921 la véritable histoire des Frigos. Pendant plus d’un demi siècle des trains s’engouffraient dans ce gigantesque bâtiment réfrigéré. En témoignent l’épaisseur et le sinistre des murs blancs ainsi que les épais conduits qui dessinent un labyrinthe sur les cinq étages de l’entrepôt. Après l’abandon du lieu par la SNCF, des artistes ont installé leurs ateliers sur les ruines de l’entrepôt désaffecté. Dans les années 80, il ne s’agissait plus de simples squatteurs mais de réelles locations de « surfaces » destinées à être investies par des artistes. Une véritable transformation de la bâtisse s’est opérée dans ces années là : on a percé des fenêtres jusqu’alors inexistantes dans l’immense réfrigérateur, construit des cloisons, installé l’eau et l’électricité… Le lieu porte toujours les marques de la lourde tâche qu’a dû être cet aménagement : les Frigos restent une friche industrielle reconvertie.
Le 91 quai de la Gare a ainsi vu passer de célèbres noms, tel Ben, Miss Tic, Ernest Pignon Ernest ou encore Ménager. L’architecture industrielle mais surtout les innombrables croquis, graffitis, installations ou pochoirs, nous ont laissé, Arthur et moi, ébahis, admiratifs devant cette mine d’or artistique dont nous avions réussi à franchir les portes : Le rez-de-chaussée accueille un restaurant insolite, avant même d’y entrer on marche sur des tables dressées, dessinées au sol. Le large escalier en colimaçon semble accumuler des centaines de graffitis, les murs transpirent la bombe et le posca dans un joyeux désordre de couleur. L’ascenseur est en réalité un énorme monstre dont l’œil au plafond semble épier nos moindres faits et gestes. Enfin, derrière chaque porte se cache un atelier d’artiste, nous avons pu rencontrer quelques un de ces spécimens, cette communauté de créateurs, assez passionnés par leur art pour vouloir en vivre dans une ancienne usine frigorifique.
Infos pratiques :
Les Frigos
19 rue des Frigos, 75013 Paris
Portes ouvertes le 2 et 3 juin (pour les curieux, l’expédition insolite vaut aussi le détour)
http://les-frigos.com/
Clémantine Chazal
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