S’il arrive fréquemment qu’un jeune admirateur de la langue de Molière se retrouve offusqué face à l’argot banlieusard, l’âme périphérique qui m’habite n’en est pas moins troublée lorsque je traverse les différentes portes de Paris. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il peut exister une véritable barrière du langage entre différentes nations banlieusardes délimitées par les départements franciliens possédant chacun ses propres coutumes de langage. Certes l’argot périphérique s’est répandu mais il n’est pas uniforme.
De nombreux dictionnaires du wesh existent mais il m’apparait possible de catégoriser certaines expressions, métaphores ou mots par département. Si le langage des cités est un signe identitaire bien distinctif, il permet de se « reconnaitre » et constitue une véritable approche culturelle. En effet, lorsqu’on croise un autre banlieusard identifié, s’initie alors un contact tout à fait différent que si l’on s’adressait dans un français courant. Car ce parlé renvoie à l’identification d’une catégorie de la population partageant un vécu, un quotidien, une culture semblable, souvent ghettoisée. Le wesh peut alors devenir une véritable barrière de sociabilité pour des étrangers à ce langage. Alors que le français courant poserait les mots d’une normalité, qui se voit d’ailleurs instrumentalisée par les communicants politiques afin de soigner l’électorat populaire et ne pas souligner la fracture sociale par le langage ; l’argot banlieusard se veut référent à une population bien précise qui même en adoptant l’éloquence d’un Denis Podalydès peut se voir trahie par un accent qui se traduit par un certain style d’intonation et de prononciation.
Seulement cette distinction par le langage se situe aussi à une échelle plus petite, si l’on sait que le « gadjo » (garçon) marseillais n’est pas le « keum » parisien que dire alors des différences franciliennes ? Le langage ayant une fonction de reconnaissance identitaire et culturelle, il peut aussi contribuer au sentiment d’appartenance à un département. On peut s’amuser à comparer le wesh à l’arabe, une langue commune mais des dialectes différents par nation banlieusarde, pouvant rendre alors un Séquano-Dionysien complètement incompréhensible pour le petit Alto-Séquanais que je suis ; exemple :
« Wesh narvalo, ça se mirave ou quoi ? Tu veux pillave ?».
Je défie tout étranger à la Seine Saint-Denis, de comprendre.
Un Montreuillois préférera un « je me suis fait rodave par la daronne à la caire » quand un Nanterrien se suffira d’un « ma daronne m’a cramé chez oim ». Les exemples n’en finissent pas d’un département à un autre. En voici quelques autres, typiquement départementaux : « Gogné » qui vient des Yvelines, utilisé pour dire « c’est nul » ou encore le fameux « s’enjailler » de nos confrères de l’Essonne, provenant de l’ivoirien et popularisé par le coupé-décalé. D’ailleurs, notons que la présence plus ou moins forte d’un type de communauté influence grandement l’argot départemental ou local. La forte communauté maghrébine de Gennevilliers s’imprégnant par exemple d’un «Yeaaah Zerma » (le yeah étant appuyé) ou encore l’expression « N’DA » à Corbeil-Essonnes, emprunté à l’ingala (dialecte congolais).
Toutes ces manières de parler et de s’approprier une langue peuvent rendre difficile la conversation entre deux banlieusards, mais heureusement il y a un certain équilibre du wesh, avec des expressions et des mots qui sont communs et véhiculés le plus souvent par le rap. Au mieux, il reste le français, appris le plus souvent à l’école, considéré comme un « trésor de guerre » selon la formule de Léopold Sédar Senghor. Cette organisation verticale du wesh, d’un format national à un format plus local, nécessite notre plus grande attention car il ne faut pas oublier que la fonction la plus symbolique d’une langue, est qu’elle prouve qu’un peuple existe…
Pour aller plus loin : http://www.dictionnairedelazone.fr
narvalo: adj. nom. fou (peut être utiliser dans un sens péjoratif comme mélioratif) – fém. narvali
mirave : se faire plaisir. Synonyme. S’enjailler ou « ça se met bien »
pillave : boire de l’acool
daronne : nom féminin. mère – masc. Daron
caire : nom féminin. maison
cramé : attrapé, vu. Synonyme.grillé.
s’enjailler : se faire plaisir
zerma : faire croire, faire semblant
N’DA : bien, bon.
Bilal Djelassi
Remerciements à Ines, Linda, Esaie, Ismael et Paco.
En complément, une fable remise aux mots du jour : Le paysans et ses tipeux
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