Mady Sylla cumule les casquettes : footballeur, danseur, chorégraphe, chef de projet print et web, bénévole auprès des plus démunis… Sur un coup de tête et sur un coup de coeur, il part au Togo découvrir l’art ancestral du tissage du Kenté et en revient avec un projet : La Paola Monova. Sa marque d’accessoires lui permet désormais de mêler créativité, quête de sens et amour de la mode. Le 1er juillet dernier, il a lancé sa campagne de crowdfunding et nous a accueilli chez lui, aux Ulis pour nous parler chiffons, engagement social, mais aussi origines et perspectives de ce projet qui l’occupe depuis maintenant deux ans.
Ça fait deux ans que tu t’es lancé dans la mode éthique avec le Kenté, un tissu ancestral d’Afrique de l’Ouest : comment t’es venue cette idée ?
Le Kenté, je l’ai découvert à travers un webreportage qui racontait l’histoire de Godwin, un maître tisserand togolais ayant appris l’art du Kenté au Ghana. J’ai tout de suite aimé les designs et les couleurs vibrantes de ce tissu. Il est magnifique !
À la fin de la vidéo, il y avait le numéro de Godwin : j’ai décidé de l’appeler et je suis tombé directement sur lui. C’est comme ça que je suis parti au Togo trois semaines après, au départ simplement pour le rencontrer. Godwin m’a présenté ses artisans, sa famille… Nous avons longuement discuté de son artisanat et de tout ce qu’il met en œuvre pour préserver le savoir-faire du tissage à la main, notamment des cours gratuits destinés à des apprentis. Son travail m’a tout de suite parlé, d’autant plus qu’à l’époque je m’intéressais beaucoup à la mode éthique. Je lui ai dit « je te promets de revenir avec un projet solide, sur lequel on travaillera ensemble ».
J’ai par la suite rencontré Raymond, un couturier de Lomé qui transmet lui aussi sa passion aux plus jeunes : je pense qu’il attendait seulement que quelqu’un vienne frapper à sa porte pour s’associer à un nouveau projet. C’est comme ça que nous avons commencé à collaborer.
À mon retour, j’ai d’abord bossé sur un projet de revente en ligne de vêtements africains entre particuliers. J’ai finalement décidé d’arrêter pour concrétiser une idée que j’avais en tête depuis longtemps : la création d’une marque d’accessoires.
« C’est comme ça que je suis parti au Togo trois semaines après pour le rencontrer. Godwin m’a présenté ses artisans, sa famille… Nous avons longuement discuté de son artisanat et de tout ce qu’il met en œuvre pour préserver le savoir-faire du tissage à la main, notamment des cours gratuits destinés à des apprentis Son travail m’a tout de suite parlé […] Je lui ai dit « je te promets de revenir avec un projet solide, sur lequel on travaillera ensemble ». »
C’est toi qui a dessiné la ceinture, le produit phare de La Paola Monova. Quelle a été ton inspiration ?
Il s’agit d’un mix entre un ruban de smoking porté autour de la taille (le cummerbund) et la partie inférieure d’un hoodie où l’on retrouve des poches. C’est la combinaison de ces deux éléments qui a donné le premier produit de La Paola Monova. Elle est faite de 14 pièces de tissu assemblées, dont du Kenté sur la partie face.
Au départ je n’étais pas forcément focus sur du Kenté, je pensais par exemple le faire cohabiter avec du wax. J’ai fait des recherches sur 1 200 tissus, réduit cette sélection à 200 puis à 50 motifs wax et Kenté. La campagne de crowdfunding m’a permis de me concentrer sur un choix de 4 motifs Kenté, avec l’idée de proposer quelque chose de simple et de cohérent avec mon histoire.
A l’avenir, je pense mixer le Kenté avec d’autres tissus mais pas nécessairement du wax. On le voit partout et je commence à en être un peu full, même si je le trouve toujours très beau.
Tu ne viens pas du milieu de la mode au départ tu peux nous raconter ton parcours depuis les Ulis jusqu’à La Paola Monova ?
J’ai grandi aux Ulis, en Essonne (91). Mes parents m’ont transmis leur sensibilité pour les beaux habits et je me rappelle qu’en primaire, les profs me faisaient des compliments sur mes tenues. Je suis fan d’accessoires de mode, mes amis vous diront que j’ai toujours porté un bracelet, une casquette, un chapeau ou une sacoche. La mode a quelque part toujours fait partie de moi, tout comme le respect des autres, et je peux aujourd’hui les réunir grâce au projet La Paola Monova.
Je suis également passionné de danse depuis longtemps. Mon truc à moi, c’est que je voulais laisser libre cours à mon imagination. J’ai appris seul puis j’ai donné des cours pendant 4 ans, deux ans en France puis deux ans en Angleterre, lorsque j’étais à l’université. C’est pendant les études supérieures que j’ai pris goût à l’école : j’étudiais le marketing et la publicité éthique avec des profs qui nous apprenaient à rassembler les gens autour de causes solidaires et humanitaires.
Ensuite, j’ai travaillé dans une agence de pub mais au bout d’un an, j’avais énormément appris mais je n’en pouvais plus. J’avais besoin de sens dans mon travail. J’ai donc démissionné et monté une association avec un ami. La philosophie c’était de remettre au goût du jour le geste solidaire sans argent. On récupérait tout : vêtements, nourriture, mobilier… puis on redistribuait gratuitement. On a commencé par des maraudes puis on a eu la chance de pouvoir bénéficier d’un local de 120 m² mis à disposition par l’ancienne maire des Ulis, Sonia Dahou. Ça a duré 3 ans.
Ça m’a appris que la solidarité, aider l’autre, ça nécessite beaucoup de rigueur, d’intelligence et qu’il ne suffit pas d’avoir bon cœur.
« J’ai fait le choix de mettre l’être humain au cœur de mon fonctionnement, parce que c’est ce qui me paraissait le plus urgent […] La nécessité en créant La Paola Monova, c’était que Raymond, Godwin et leurs apprentis puissent vivre de leur talent, que leur travail soit mis en avant. Je n’imagine pas que La Paola soit une réponse à tous leurs besoins, mais j’espère réussir à leur donner un coup de pouce. »
Cette solidarité, l’importance que tu accordes à l’humain, comment est-ce que tu les as intégrées à ton projet ?
La Paola Monova c’est une marque éthique d’accessoires confectionnés en Afrique, ce n’est pas une marque d’accessoires éthiques. C’est-à-dire que j’ai fait le choix de mettre l’être humain au cœur de mon fonctionnement, parce que c’est ce qui me paraissait le plus urgent. La seconde étape sera d’adopter un fonctionnement globalement éthique en travaillant avec des matières à faible impact environnemental. J’avance step by step.
En arrivant au Togo, j’ai demandé à Raymond, Godwin et à leurs artisans de me donner des informations sur le coût de leur vie. j’ai réalisé une étude afin de savoir combien ça coûte de manger chaque jour, de nourrir sa famille, de prendre les transports pour aller au travail, d’avoir des loisirs, de s’éduquer, d’avoir accès à des formations, d’épargner… Avec ces informations, j’ai calculé le montant d’un salaire vital qui est au-dessus du SMIC en vigueur, de l’ordre d’un salaire de cadre moyen. Ce salaire leur permet de subvenir à leurs besoins mais aussi à ceux de leurs familles.
La nécessité en créant La Paola Monova, c’était que Raymond, Godwin et leurs apprentis puissent vivre de leur talent, que leur travail soit mis en avant. Je n’imagine pas que La Paola soit une réponse à tous leurs besoins, mais j’espère réussir à leur donner un coup de pouce en développant une marque de renom.
Le wax s’est popularisé en France ces dernières années mais le Kenté beaucoup moins : comment peux-tu l’expliquer ?
Le Kenté est un tissu ancestral d’Afrique de l’Ouest confectionné par le peuple Akan Ashantis depuis le XIIe siècle. C’était un tissu réservé aux nobles, aux rois et aux reines. Avec le temps, il s’est démocratisé tout en conservant sa notoriété, sa valeur et sa richesse. Aujourd’hui tout le monde peut s’en procurer au Togo. Il se porte généralement avec des bijoux en or assez imposants à l’occasion d’événements comme les mariages ou les baptêmes par exemple.
Il se trouve plus rarement que le wax parce qu’il est plus difficile à exploiter. Le wax est léger, tandis que le Kenté est beaucoup plus lourd et rigide. Il est plus cher aussi et se tisse à la main alors que le wax se fait à la machine. L’artisanat du Kenté se perd petit à petit mais Godwin n’est pas une exception : d’autres le pratiquent. C’est un travail long, il faut un mois pour réaliser un pagne de 120cm sur 180cm. Pour le petit jeune qui veut se lancer et rentrer dans les standards de production du marché actuel, c’est compliqué. C’est pour ça qu’ils se dirigent plutôt vers le wax vendu partout sur le marché de Lomé.
« Je suis pour la préservation des cultures et leur cohabitation. Je pense qu’elle est possible et qu’elle se traduit à tous les niveaux. Si je peux le faire à travers La Paola Monova, je le ferai. La Paola Monova s’adresse à tout le monde. »
Sur ton site tu as des mannequins blancs et noirs. La question de l’appropriation culturelle dont on parle beaucoup en ce moment, c’est une chose à laquelle tu réfléchis pour ta marque ?
De base, je n’y réfléchis pas. Lorsqu’une marque fait un choix ethnique dans ses campagnes de pub, c’est parce que ça colle à des codes. En revanche, j’estime qu’il ne faut pas que cela crée des écarts d’identité ou un manque de représentation d’une culture, qui se retrouve exploitée par une autre sans être représentée. Ça reste un problème et c’est d’actualité.
Je ne suis pas dans cette idée de « on se mélange pour rien », je suis pour la préservation des cultures et leur cohabitation. Je pense qu’elle est possible et qu’elle se traduit à tous les niveaux. Si je peux le faire à travers La Paola Monova, je le ferai.
D’ailleurs, La Paola s’adresse à tout le monde. Je n’ai pas de parti pris. Pour le shooting, comme je débute dans la mode, j’ai simplement demandé à trouver des modèles. Je n’avais pas de critères particuliers mais par chance, je suis tombé sur une jolie palette. J’aimerais conserver cela à l’avenir.
« Je pense que toute création doit servir à l’autre. […] Je veux que ce que je crée serve à d’autres personnes, à des artisans qui vont pouvoir vivre de leur talent. Jusqu’au nom de la marque, j’aimerais que ça évoque des valeurs positives, que beaucoup de gens s’y retrouvent, puissent s’identifier et à leur tour véhiculer un message positif. »
Comment envisages-tu la suite, après la campagne de crowdfunding ?
A la fin de la campagne, je compte révéler la signification du nom, La Paola Monova, via un court-métrage que j’ai écrit. Ensuite, pour la distribution, je n’ai pas envie de faire du e-commerce, ce que font beaucoup de petites marques qui se lancent. Je compte me concentrer sur de la vente en direct à travers des événements qui feront que l’on se procure pas uniquement un produit, mais aussi une histoire, un héritage. L’idée c’est qu’il y ait une vraie signification dans tous les aspects du projet.
Je pense que toute création doit servir à l’autre. C’est ce que j’essaye de m’appliquer : je veux que ce que je crée serve à d’autres personnes, à des artisans qui vont pouvoir vivre de leur talent. Jusqu’au nom de la marque, j’aimerais que ça évoque des valeurs positives, que beaucoup de gens s’y retrouvent, puissent s’identifier et à leur tour véhiculer un message positif.
La campagne de crowdfunding se termine le 31 juillet, pour précommander votre ceinture ça se passe ici.
Texte : Yveline Ruaud
Photo de couverture : Fiona Forte
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